FAIRE REVENIR LE TEMPS EN ARRIERE
Comme toutes les personnes dans notre situation nous avons souvent souhaité faire revenir le temps en arrière, que le cauchemar ne soit qu’un cauchemar dont on se réveille et non la vie réelle, que la vie normale reprenne sa place afin de pouvoir serrer dans nos bras celui qui n’est plus . Le temps ne remontera malheureusement pas en arrière et nous ne pourrons pas changer le cours des choses qui sont advenues.
Dans la violence des premiers instants de cette vague de désespoir qui nous inonde, on sait très bien l’effondrement que cette perte va créer dans nos vies. Comment faire face à une telle perte ? cette douleurs va nous transformer pour toujours. Je n’oublierais jamais les paroles exactes inscrites sur le répondeur téléphonique , des paroles dures , sans compassion , qui vous annoncent la mort de votre Fils sans aucun ménagement , Il faut monter à Nemours l’accident ayant eu lieu là-bas , le corps d’EMILIEN repose à Fontainebleau , et MYLENE est dans le coma à la Pitié Salle Pètrière à Paris . A tout point tenir le coup , c’est ma hantise tout au long de ce terrible voyage , il faut tenir , tenir encore , pour Sylvette , Ginette , Jean Luc , qui me font confiance pour les conduire à bon port .
Certaines personnes s’effondrent en larmes, d’autres comme moi n’y arrivent pas et les contiennent mais elles viendront plus tard car à ce moment précis il faut se montrer responsable et fort, il faut absolument tenir le coup dans ces moments où il faut agir sans se soucier de l’opinion d’autrui, et nous nous enfermons derrière ce rempart dont nous avons besoin dans cette période où nous nous sentons perdus. Retour à Bourg , REMY soutenu par un oncle et une tante et une amie nous y attend , comment doivent faire les personnes seules chez elles . Heureusement un beau-frère est à mes côtés pour me soutenir dans les premières démarches à faire .
Puis le corps d’EMILIEN repose dans une chambre funéraire à Bourg , J’ai un grand besoin d’être près de LUI le plus longtemps possible et le plus souvent possible seul de préférence pour lui dire tout se que je ressens , le remercier des 20 superbes années que j’ai passé à ses cotés , nous avions partagé tant de choses tous les deux et tant de choses restaient encore à faire .
Sa présence était si salutaire , son sourire si éclatant c’était vraiment comme le dit sa belle-famille un rayon de soleil permanent . Tant qu’il reposait sur le lit funéraire pour moi il était comme MYLENE un grand malade dans le coma que j’ai accompagné , puis il y eu la mise en bière alors tout a basculé dans ma tête et je perdait définitivement EMILIEN mais il fallait tenir bon , montrer que l’on pouvait compter sur moi bien qu’au fond de moi-même je n’en étais pas très sûr , puis les obsèques la descente du cercueil le dernier adieu puis nous rentrons chez nous .
Heureusement une personne de la famille reste près de nous , nous avons besoin d’une présence permanente à nos côtés . Le retour au domicile est pourtant un moment violent où on prend conscience que plus rien ne sera jamais comme avant , soudain c’est le silence, apprendre à vivre sans l’être aimé. Mais chacun doit reprendre son travail et nous nous retrouvons seuls nous sommes tous les trois puisque REMY est resté avec nous , mais nous sommes tous les trois seuls . Puis un autre membre de la famille a pu prendre des congés , son soutien est inestimable car quelques jours sont passés et le vide s’installe et s’amplifie , sa présence m’est d’un grand secours .
Nous sommes supposés reprendre la vie quotidienne, il existe un bref congé de deuil de trois jours accordés à un parent pour le décès d’un enfant, alors que le Code du travail donne maintenant deux semaines pour les pères à la naissance de leur enfants, cela revient à constater malheureusement que si un temps légal est octroyé pour se réjouir lorsqu’on donne la vie, il n’y rien d’équivalent lorsqu’on enterre le même membre de sa famille. L’absence physique de l’être aimé est la confrontation vertigineuse avec le vide qu’il laisse à jamais. Le premier manque est de ne plus le voir, ne plus l’entendre, ne plus entendre ses bruits familiers, ne plus pouvoir le prendre dans ses bras, ne plus le toucher, ne plus l’embrasser et de savoir que ceci est pour toujours. Il faut apprendre à mettre un couvert de moins à table , laisser une place vide, ranger des affaires pour toujours,
Comment vivre sans cette relation si importante et capitale dans l’organisation de la maison depuis tant d’années ? La souffrance de l’absence est si forte ,on a le sentiment de ne plus être normal ,notre perte est immense parce qu’elle est pour toujours ; nous devons faire face à l’incompréhension de la part des autres.
Lorsque la mort enlève à notre affection un être fondamental à notre vie notre colère passe par la révolte, le sentiment d’injustice, la rage envers le responsable de cette mort, pourquoi lui, pourquoi nous ?.Comment vivre de jours en jours, d’années en années, avec cette absence intolérable, ce vide immense, les autres continueront de vivre ensemble , de fêter des anniversaires, de se réjouir d’une nouvelle naissance, certains avec les années seront tristes de vieillir (s’ils savaient la chance qu’ils ont eux de pouvoir vieillir) . L’espoir leur est permis à tous puisqu’ils sont vivants mais que notre fils lui est mort pour toujours.
Mourir jeune laisse une impression d’inachevé, de gâchis, mourir à vingt ans c’est mourir davantage et tout ceci nourrit notre colère. Nous sommes confrontés à une impuissance générale envers cette tiers personne qui nous a ôté notre fils, pour l’instant notre colère est abstraite mais plus tard au procès elle prendra la forme d’un visage, d’une personne que nous détesterons , nous lui voudrons le pire des maux car c’est celui qui nous a fait du mal et ce mal a conduit à la mort de notre fils ;nous aurons envers lui un sentiment de rejet qui se transformera en rage puis en haine pour ce meurtrier qui a détruit la vie de notre enfant et la vie de toute la famille. Le deuil , un mot qui ne veut rien dire mais qui hélas veut tout dire , est long, il ne dure pas seulement quelques mois comme on l’entend souvent dire ; qu’il fait terriblement souffrir et que cette souffrance est hélas normale, que l’on ne tourne pas la page et que l’on peut souffrir toute une vie de la mort de l’être aimé.
Les relations entre nous et les autres, mais aussi entre nous et nous , sont souvent explosives et décevantes , sur la durée les relations dites amicales qui s’estompent ou ne sont plus du tout , les autres ont repris eux une vie normale , nous sommes souvent amers et déçus par notre entourage, même dans notre couple les banalités nous semblent dérisoires, parler du seul sujet qui nous intéresse ravive forcément les plaies alors qu’avons nous maintenant à nous dire ?
La perte d’un enfant de vingt ans n’est pas un simple traumatisme comme une perte dans la logique des choses , mais on vit " sans " pour toujours , On se fiche éperdument que certains nous disent que le bonheur existe encore , que le monde sera a nouveau vivable, mais rien ne sera plus jamais comme avant pour nous le vide est immense et éternel , toute notre vie sera affectée et notre souffrance resurgira à tout moment , à toute période , il n’y aura ni oubli de notre enfant ni fin totale de la souffrance comme beaucoup le laisse supposer. Il n’y a pas de retour à la vie d’avant mais une transformation totale de notre personnalité nous devenons quelqu’un d’autre mais quelqu’un que l’on ne voulait pas devenir .
La vie est telle qu’il nous faut reprendre nos activités nous souffrons toujours autant mais il faut se montrer actif et en état de fonctionner , les autres pensent que tout va mieux , que tout va presque bien, quelle erreur, s’ils savaient ce qu’il se passe en nous .
Apprivoiser l’absence c’est le seul objectif fixé , lorsque nous vivrons moins mal , mais des bouffées de chagrin, d’angoisse nous submergeront toujours sans prévenir et sans raison apparente , et le doute de ne jamais s’en sortir nous envahira à nouveau et nous redevenons à cet instant la personne vulnérable d’il y a quelques jours où l’être aimé nous manque terriblement où son absence nous est à nouveau insupportable et la souffrance est toujours aussi forte .
Nous ne sommes plus les mêmes , nous sommes de plus en plus intolérants , plus très attentifs à la vie des gens qui nous entourent , nous nous sentons en dehors, à côté de la vraie vie, celle des autres avec leurs problèmes mais qui nous semblent si dérisoires par rapport à notre drame à nous tellement épouvantable . Nous ne serons plus jamais les mêmes, que deviendrons nous ? qui deviendrons nous ? Il y a en nous un brusque changement des valeurs , le plus important est d’être avec ceux que l’on aime, faire des choses avec eux , ne plus perdre un instant d’être avec eux , de peur d’avoir un jour à le regretter , le travail devient sans grande importance on ne fait que le nécessaire bien que peu de gens nous comprennent , l’avis des autres sans grand intérêt , la vie des autres sans grand intérêt , nous nous renfermons sur nous même et passons une grande partie de notre temps à faire seulement semblent , paraître aux yeux des autres ; l’accumulation du pouvoir ou de l’argent nous semble si dérisoire, il faut continuer à travailler , mais notre intérêt propre est ailleurs, les apparences sont maintenues mais au fond de nous-même les vraies valeurs sont celles de l’humain mais le véritable humain celui qui n’est pas handicapé du sentiment mais avec le temps ils ne sont pas très nombreux à rester à nos côtés , et voir les autres s’agiter , se plaindre , se prendre trop au sérieux ou se faire du soucis pour des bricoles de la vie courante nous semble inutile et superflue , il faut remettre les choses à leur juste place et ramener les problèmes à leur juste valeur , certains nous semblent si loin de la vérité et si proche du ridicule.
Nous sommes conscient de la fragilité de la vie, tout peut s’interrompre brutalement et à tout moment , nous sommes devenu fragile , peureux , anxieux de perdre encore et de pouvoir perdre à nouveau pour toujours et ce sentiment personne mieux que nous pouvons le comprendre et le ressentir , Il nous faut nous reconstruire , reconstruire une autre vie que celle que nous avions prévue .
L’être tant aimé qui a disparu continuera bien au-delà de sa mort à jouer un rôle primordial et important dans le déroulement de notre vie future et sa disparition modifiera toute la suite du déroulement jusqu’à nos derniers jours et nous continuerons à en vouloir à celui qui nous a enlevé EMILIEN qui à vingt ans avait tout l’avenir pour vivre dans le bonheur le plus parfait et le plus complet sa passion du travail bien fait , d’aimer et respecter les autres , et de vivre son Amour intense avec MYLENE qui n’a même pas pu lui dire un dernier ADIEU , MYLENE la femme de sa vie avec qui il prévoyait tant de choses qui resteront à jamais inachevées .